Cet arrêt de cassation partielle rendu le 22 mars 2012 par la Cour de cassation (cass 1ère civ pourvoi n°10-25.811) rappelle en premier lieu une règle constante et établie en matière de voie d’exécution.
Les voies d’exécution, et en l’espèce la mise en œuvre d’une procédure de paiement direct par le créancier d’une obligation alimentaire, nécessitent l’existence d’un titre exécutoire valable, et une défaillance du débiteur dans l’exécution de ses obligations.
La publication de cet arrêt au bulletin est plus surement motivée par l’analyse stricte faite par la Cour de cassation du secret professionnel, et des conséquences de l’obligation de secret. Ainsi, l’Huissier de justice ne peut transmettre à son mandant certains renseignements obtenus dans le cadre de l’exécution forcée.
Si la solution retenue semble conforme à la portée générale des textes régissant le secret professionnel, nous verrons que cela ne sera pas sans conséquence au quotidien, sur l’exécution forcée et les relations entre les études d’Huissiers de justice, et leurs mandants.
1. La mise en œuvre d’une procédure de paiement direct par le créancier d’une obligation alimentaire, nécessite l’existence d’un titre exécutoire valable, et une défaillance du débiteur dans l’exécution de ses obligations.
La demande de paiement direct est recevable dès qu’une échéance de pension alimentaire est impayée à son terme, et sera applicable aux termes à échoir de la pension alimentaire et aux termes échus, et restés impayés, pour les six derniers mois avant la notification de la demande de paiement direct.
La mesure est engagée par l’Huissier de Justice (Compétence territoriale du domicile du créancier de l’obligation alimentaire) qui adresse au tiers saisi, sous forme recommandée AR, l’avis de mise en œuvre de la procédure de paiement direct contenant le visa du titre exécutoire et le décompte des sommes dues.
Le même jour, copie est adressée sous la même forme au débiteur.
L’absence de titre exécutoire valable, ou la mauvaise foi consistant dans la mise en œuvre d’une telle mesure alors même que les arrérages sont payés, sont susceptibles de motiver dommages et intérêts, et amende civile.
Dans notre espèce, l’Huissier de justice instrumentaire se prévaut d’une décision rendue pendant le cours de la procédure d’appel par le Conseiller de la mise en état, assortissant de l’exécution provisoire la décision de première instance frappée d’appel.
Sans s’interroger sur la portée éventuellement rétroactive de l’ordonnance du Conseiller de la mise en état, l’Huissier de justice adresse à l’employeur une demande de paiement direct portant sur la totalité de la créance, et non seulement sur l’arriéré dû depuis le prononcé de l’exécution provisoire.
L’Huissier de justice confronté à une incertitude, en l’espèce le caractère rétroactif des effets de l’ordonnance du Conseiller de la mise en état, doit saisir le Juge de l’exécution.
C’est ce que rappelle la Haute Juridiction au soutien de sa décision de cassation.
Le Juge de l’exécution connaît des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée. Il peut en effet être saisi directement par l’Huissier de justice.
Si ceci ne constitue pas un rappel inédit, la pratique démontre que la saisine du Juge de l’exécution est quasi exclusivement faite à la requête des parties.
La Cour de cassation opère, ce faisant, un rappel des dispositions contenues à l’article 34 du décret n°92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution pour l’application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution : Lorsque l’huissier de justice chargé de l’exécution d’une décision de justice ou d’un autre titre exécutoire se heurte à une difficulté qui entrave le cours de ses opérations, il peut, à son initiative, saisir le juge de l’exécution.
2. L’Huissier de justice ne peut transmettre à son mandant certains renseignements obtenus dans le cadre de l’exécution forcée
Dans notre affaire le pourvoi est formé par le débiteur de l’obligation alimentaire, à l’encontre duquel est mis en place la procédure critiquée, et parallèlement une procédure d’expulsion afin que soit respectée la décision fixant les domiciles séparés.
Après avoir critiqué aux termes de ses deux premiers moyens de cassation, le bien fondé de la mise en œuvre de la procédure de paiement direct, le débiteur développe un troisième moyen relatif au secret professionnel.
La transmission par l’Huissier de justice des informations recueillies auprès du Fichier National des Comptes Bancaires et Assimilés (FICOBA) serait constitutive d’un manquement aux obligations de secret auquel ce professionnel est astreint.
La Cour d’appel n’avait pas retenu cette argumentation en estimant que la créancière ne peut être regardée comme un tiers au sens de l’article 41, alinéa 2 de la Loi du 9 juillet 1991 (Les renseignements obtenus ne peuvent être utilisés que dans la seule mesure nécessaire à l’exécution du ou des titres pour lesquels ils ont été demandés. Ils ne peuvent, en aucun cas, être communiqués à des tiers ni faire l’objet d’un fichier d’informations nominatives. Toute violation de ces dispositions est passible des peines encourues pour le délit prévu à l’article 226-21 du code pénal, sans préjudice, le cas échéant, de poursuites disciplinaires et de condamnation à dommages-intérêts)
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt déféré en indiquant que le secret professionnel auquel est tenu l’Huissier de justice couvre les renseignements obtenus en vue de l’exécution du ou des titres pour lesquels ils ont été demandés, fût-ce à l’égard de la personne qui l’a requis.
La protection des données à caractère personnel obtenues dans le cadre d’un dossier d’exécution fait logiquement l’objet de toutes les attentions : ici par la lecture stricte que fait la Cour de cassation de l’article 41, alinéa 2 de la Loi du 9 juillet 1991 , mais aussi de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, qui impose, en étroite collaboration avec la Chambre nationale et les Chambres départementales des Huissiers de justice, de strictes règles de fonctionnement.
L’article 2 de la Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 définit la notion de données à caractère personnel comme toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres.
Ces règles touchent tant la nature des informations, que la durée de conservation des données recueillies.
Les obligations imposées viennent encadrer les accès maintenant assez larges, dont dispose l’Huissier de Justice pour obtenir des informations personnelles relatives aux débiteurs poursuivis (Article 39 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 : Sous réserve des dispositions de l’article 6 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, les administrations de l’Etat, des régions, des départements et des communes, les entreprises concédées ou contrôlées par l’Etat, les régions, les départements et les communes, les établissements publics ou organismes contrôlés par l’autorité administrative doivent communiquer à l’huissier de justice chargé de l’exécution, porteur d’un titre exécutoire, les renseignements qu’ils détiennent permettant de déterminer l’adresse du débiteur, l’identité et l’adresse de son employeur ou de tout tiers débiteur ou dépositaire de sommes liquides ou exigibles et la composition de son patrimoine immobilier, à l’exclusion de tout autre renseignement, sans pouvoir opposer le secret professionnel. Les établissements habilités par la loi à tenir des comptes de dépôt doivent indiquer à l’huissier de justice chargé de l’exécution, porteur d’un titre exécutoire, si un ou plusieurs comptes, comptes joints ou fusionnés sont ouverts au nom du débiteur ainsi que les lieux où sont tenus les comptes, à l’exclusion de tout autre renseignement, sans pouvoir opposer le secret professionnel)
Le Fichier National des Comptes Bancaires et Assimilés (FICOBA) est consultable sur requête sécurisée et dématérialisée. Elle permet de déterminer les établissements financiers teneurs de comptes dans le but d’initier des procédures de saisies des comptes bancaires (saisie-attribution)
Le FICOBA recense les comptes de toute nature (compte bancaire, compte postal, compte titre, compte épargne) ouverts sur le territoire national.
Ce fichier national a pour mission, sous la responsabilité de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) du Ministère du Budget, des Comptes publics et de la réforme de l’État, de fournir aux personnes et organismes légalement habilités, dans le cadre de l’exercice de leurs missions, des informations sur les comptes détenus par une personne ou une société.
Les administrations (au sens large) sont également consultables pour déterminer, par exemple, l’adresse ou l’employeur du débiteur, ou encore les coordonnées de sa caisse de retraite.
L’Huissier de justice ne pouvait donc pas transmettre à son mandant le relevé lui ayant été communiqué par le FICOBA, listant les comptes bancaires ouverts au nom de l’époux débiteur de l’obligation alimentaire.
La Cour de cassation estime que cette transmission constitue atteinte au secret professionnel.
Cette position rappelle de manière assez classique que le secret professionnel doit s’entendre dans un spectre large, voire absolu.
Le droit au secret est une règle de protection des intérêts et libertés individuelles.
Nul n’en disconviendra.
Au surplus ce droit pour le débiteur est le pendant naturel des prérogatives permettant à l’Huissier de justice de consulter, et recueillir telle ou telle donnée personnelle.
La difficulté réside dans l’absence de définition du secret, et dans l’absence de liste exhaustive des informations dont la divulgation caractérise le délit de violation du secret professionnel, délit prévu et réprimé par l’art 226-13 du code pénal (La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende)
Le relevé FICOBA énumère la liste des établissements financiers détenant, ou ayant détenu pour le compte du débiteur, des comptes (les mises à jour sont parfois aléatoires, et il est fréquent de trouver sur le relevé la mention de comptes clos depuis plusieurs mois).
Ce relevé ne comporte pas la mention du solde créditeur ou débiteur des compte, ce que seule déterminera la procédure de saisie des comptes bancaires.
Poursuivons alors le raisonnement : fort de l’enseignement de l’arrêt ici commenté, l’Huissier de justice ne restitue, ni ne communique à son mandant le relevé FICOBA.
Il le conserve au secret de son dossier d’exécution pour s’éviter les sanctions disciplinaires et éventuellement pénales qui lui sont expressis verbis, promises.
A la clôture du dossier d’exécution, ou même en cours de dossier, les actes sont retournés et facturés. Il en est ainsi des procédures de saisie attribution engagées entre les mains des établissements bancaires révélés par le relevé FICOBA.
Or l’acte de saisie attribution comporte l’indication de la banque tiers saisie, et l’indication du solde créditeur ou débiteur détaillé au jour de la saisie.
L’article 59 du décret n°92-755 du 31 juillet 1992 prévoit en outre que le tiers saisi est tenu de fournir sur-le-champ à l’huissier de justice les renseignements prévus à l’article 44 de la loi du 9 juillet 1991 et de lui communiquer les pièces justificatives, ce dont il est fait mention dans l’acte de saisie.
Au rang de ces justificatifs peut figurer un listing des mouvements, ou un contrat de nantissement justifiant de l’indisponibilité de tel ou telle somme ou valeur en dépôt.
Dans l’hypothèse fréquente ou des saisies sont menées sur chacun des comptes bancaires, les actes contiendront infiniment plus d’indications que celles portées au relevé FICOBA.
Est-ce à dire que la communication à son mandant de certains actes de procédure peut également être constitutive de violation du secret professionnel ?
Dans le cas d’espèce, il n’est pas inutile de préciser que la lecture de l’argumentation des parties nous apprend que l’Huissier de justice se défend d’avoir communiqué directement le relevé FICOBA au créancier, justifiant avoir retourné son dossier à l’Avoué du demandeur.
Les études d’Huissier de justice, si elles sont majoritairement saisies par des professionnels également soumis au secret professionnel, le sont également fréquemment directement par les demandeurs eux-mêmes.
Ces saisines interviennent soit dans des matières sans ministère d’Avocat obligatoire, soit alors que le demandeur a décidé de suivre seul la phase d’exécution forcée de la décision obtenue par son Conseil.
Par ailleurs la requête FICOBA est une formalité tarifée, et facturée.
Le mandant comprendra difficilement que l’Huissier de justice refuse de lui remettre copie d’une diligence dont il a réglé le coût.
En l’état, la décision rendue par la Cour de cassation réduit à l’évidence considérablement le champ des informations de suivi que l’Huissier de justice pourra communiquer à son client sans craindre de se voir reprocher un manquement.
Le débiteur défaillant gagne ici un critiquable droit à la discrétion sur l’étendue et la consistance de son patrimoine.
Les textes interdisent pourtant parfois la diffusion de certaines informations obtenues dans le cadre de l’exécution forcée.
Pour illustration, l’huissier de justice est autorisé à photographier les objets saisis lors de ses opérations de saisie vente au domicile du débiteur (afin notamment d’éviter la substitution des biens saisis, par des objets au descriptif semblable, mais de moindre valeur)
L’article 90 du décret n°92-755 du 31 juillet 1992 poursuit en précisant que ces photographies sont conservées par l’huissier de justice en vue de la vérification des biens saisis. Elles ne peuvent être communiquées qu’à l’occasion d’une contestation portée devant le juge.
L’intention est de préserver l’intimité du débiteur, le secret de son intérieur, ce qui est en effet nécessaire.
Les textes relatifs à l’accès au Fichier National des Comptes Bancaires et Assimilés ne prévoient pas de restriction de communication.
Les informations relatives aux comptes bancaires détenus par un débiteur défaillant doivent pouvoir être communiquées au mandant au même titre que les autres actes de procédure.